la médiocrité pour tous
La médiocrité a cela de formidable qu’elle nous concerne tous. Elle est l’expression d’une honte de soi que notre inconscient connaît sans nous en laisser la moindre illusion. Pour échapper à son emprise, il n’est que deux issues, bien opposées. L’imbécile parfait ne peut être médiocre pour ce qu’il est radical dans sa certitude de comprendre le monde comme il est (« Bouvard et Pécuchet », « L’idiot »). L’autre voie, plus étroite et périlleuse, consiste à sans cesse se dépasser , mettre ses penchants et ses faiblesses hors de portée de notre volonté, désirer sans cesse accéder à un monde meilleur, c’est-à-dire un idéal à modeler chaque jour quitte à recommencer sans cesse. Cela demande une constance et un effort tels que peu y arrive ; en résulte le fait que la médiocrité, cet abîme sans fond, nous tend les bras à chaque instant et que nous y sombrons souvent, que nous le voulions ou non. À choisir, je préfère la seconde voie même si elle ne garantit en rien le succès (au contraire de l’idiotie totale dont le cheminement est sûr et sans obstacle). Nous vivons une époque qui permet à chacun de s’exprimer et de partager avec une multitude, connue ou inconnue, propos, projets, pensées, secrets. Cette parole libre est une bénédiction, malgré ses travers qui seront toujours bien moindres que le silence forcé ou contraint. Dire ce que l’on pense n’exore personne de réfléchir pour autant et de rechercher le sentier étroit et tortueux qui mène par sombres forêts et profondes et escarpées vallées à la lumière vive de l’intelligence. Rien ne fut plus médiocre ces dernières années que le vote pour Chirac en gants de latex et pince à linge sur le nez (là où un simple bulletin blanc aurait suffi à laver toute mauvaise conscience) ; rien de plus bête que l’anti-bushisme poussé à son paroxysme et érigé en diplôme de bonne conduite intellectuelle (malgré le fait que Bush et son administration firent au monde plus de mal que bien d’autres gouvernements) ; rien de plus vain et inutile qu’un anti-sarkozysme poussé jusqu’à moquer sa taille (là où une critique politique serait bien plus utile). De la même manière, cette tendance que nous avons de faire du maire actuel de Najac l’alpha et l’oméga de notre incapacité à dépasser notre médiocrité n’a d’autre effet que la rendre encore bien plus glauque et profonde qu’elle ne l’est par nature. Je ne veux pas dire que nous ne pourrions pas critiquer telle ou telle décision ; mais en faire une habitude voire une définition pour pouvoir mieux se situer, voire se placer, fait de chacun d’entre nous un médiocre acteur de la mauvaise pièce qu’est la tragédie najacoise. Si la seule chose que nous pouvons apporter à cet ouvrage commun est un peu plus de dispersion, de zizanie et de confusion, avec l’espoir personnel ou égoïste de jouer un peu plus loin un rôle un peu plus important ; nous serons sifflés à la fin et tout ceci ne sera rien d’autre qu’un four aussi minable que nos prestations.Nous sommes sortis avec peine d’une tragi-comédie qui, pour avoir été jouée pendant des décennies sans relâche, nous laisse exténués par un monologue indigeste et indigent. La suite n’est peut-être pas aussi brillante que nous l’avons espéré. Qu’importe, improvisons, poétisons, changeons de manière. Mais de grâce que les années qui viennent ne soient pas aussi médiocres qu’ont été les précédentes. Et cela vaut autant pour moi que pour vous, qui que vous soyez, jusqu’à ceux qui ont la charge de nous administrer et ceux qui les assistent dans la lumière ou les conseillent dans l’ombre (cette ombre où la médiocrité sommeille).